Les limites à l'acceptation de la guerre : la chronique "Sans filtre" de Mémona Hintermann
Source: Ladepeche.fr
Rwanda, Bosnie, Irak - sans remonter à la Seconde Guerre mondiale ni aux massacres en Amérique centrale dans les années 80-90, Guatemala, Salvador, Argentine, tant d'autres - la litanie des charniers escorte presque toujours les conflits armés. Et voilà que, depuis cette semaine, Gaza est venue s'ajouter à la liste. Lundi et mardi, plus de 300 cadavres ont été exhumés de fosses communes creusées dans les cours des deux plus grands hôpitaux de l'enclave méditerranéenne. Pas nous, ont fait savoir les militaires israéliens. Alors qui ?
L'ONU demande une enquête indépendante en raison " de l'impunité qui prévaut " dixit le Haut-Commissaire chargé des droits de l'Homme. Le droit humanitaire fondé sur les Conventions de Genève protège tout particulièrement les femmes et les enfants et singulièrement dans l'enceinte d'un hôpital. Les textes interdisent aussi de mal traiter les prisonniers. Or, des hommes nus aux mains attachés, font partie des défunts selon l'ONU.
Le souhait des Nations unies de comprendre et d'analyser ces réalités macabres pour en déterminer les auteurs est-il réaliste ? Il faudrait parvenir au terrain sans trop tarder - et peut-être est-ce déjà un peu tard - car les pièces à conviction pouvant servir de preuves se détruisent.
Cette guerre est déjà trop meurtrière pour se risquer à un jugement hâtif. On se souvient du charnier de Timisoara en Roumanie, découvert à Noël 1989 au moment où le régime Ceausescu s'écroulait sous les manigances d'un coup d'État. Deepfake, dirait-on aujourd'hui. Mais comparaison n'est pas raison.
Dans le cas de Gaza, l'accès aux sites des fosses communes est extrêmement limité par l'armée israélienne, non seulement aux humanitaires mais aussi à d'autres témoins susceptibles de parler. Les journalistes sont interdits de se rendre à Gaza et doivent se fier, de loin, à des comptes-rendus de personnes-contacts enfermées dans l'enclave.
Ce ne serait pas forcément à l'encontre des intérêts du peuple israélien que la lumière soit faite sur ces fosses communes. Leur pays se prévaut d'être la seule démocratie de la région, grâce notamment à un système juridique et une armature judiciaire qui se rattachent à un ensemble de valeurs fondées sur l'universalisme des droits. Dans ce système, les crimes contre l'humanité, par exemple, sont bannis et punis. Mais des collines de la Galilée jusqu'aux rivages d'Eilat, d'Ashkelon au Jourdain, le monde n'est plus le même depuis le 7 octobre 2023. L'idée d'une guerre pour l'existence même du peuple juif rend dur.
Les massacres commis par les terroristes du Hamas ont-ils altéré l'opinion publique intérieure israélienne - et le jugement de la diaspora ? Au point d'accepter ce qu'ils auraient refusé avant ce week-end-là ? Vu ce que ce peuple a subi de pogroms et de stigmatisation dans sa longue histoire, compliqué de s'autoriser à se mettre à sa place. Il n'empêche ! Les soubresauts de l'Histoire rappellent que le compas moral ne doit pas être à géométrie variable. L'autre guerre qui occupe nos esprits le montre cruellement. Quand l'Armée rouge avançait vers l'Allemagne l'hiver 1945, plus d'un million d'Allemandes jeunes ou vieilles avaient été violées. " Bien fait pour elles, ces femmes de nazis ", voilà ce qui se disait pendant longtemps et encore aujourd'hui. Parmi les violeurs soviétiques, il y avait des Ukrainiens.
Aujourd'hui leurs petites filles subissent les mêmes crimes par les descendants de leurs frères d'armes russes. Dans ces deux pays, il n'y a pas eu d'examen moral après la guerre. Il n'y a pas de fosses communes justifiables comme il n'y a pas de viols acceptables. C'est une limite à l'acceptation de la guerre.